DOROTHY PARKER "Sorry for the dust" FR

Publié le par Virginie

 

 

Say I’m neither brave nor young
Say I woo and coddle care,
Say the devil touched my tongue
Still you have my heart to wear.

But say my verses do not scan,And I get me another man!

dorothy-r

Les femmes à grande gueule ont le don de m'irriter. Les investies-par-une-cause, les féministes tranchées, les commères de salon de thé froissent mon envie profonde de sortir de ce prétendu clivage entre les sexes.

Puisqu' en fait tout est question d'individualité.

Alors à défaut de vous présenter une femme incarnant "l'émancipation féminine dans L'Amérique des années..." ( tout à fait le genre de constat historique qui ont, eux

aussi, le don de m'irriter), c'est d'une figure littéraire de talent, auteur de nouvelles, de critiques, de poèmes, aussi dramaturge et bien évidemment scénariste (entendu que les femmes aiment faire plusieurs choses à la fois...) dont je vais vous parler.

 Cette femme c'est Dorothy Parker. Inconnue au bataillon. Presque ignorée en Europe; mal appréciée voire ré-illustrée de l'autre côté de la Grande Mare (déformation congénitale de ses oeuvres, ablation préromptoire du sens, adaptation racoleuse de ses textes par de jeunes "artistes de théâtre"  dont le nez au milieu de la figure se pointe sur scène avant même le levé de rideau.).

 Miss Parker. Un beau brin de fille au caractère bien trempé, qui porte ses vues sur la troupe des nouvelles figures culturelles du moment (Hemingway, The Marx Brothers, Fitzgerald, Hammet...) dans les Etats-Unis, et plus précisément dans le New York des années folles. Années (peut-être) prospères, durant lesquelles naissent les Babbitts, terme emprunté à Sinclair Lewis, qui dans le roman du même titre sabote la fausse idée d'une élite dont l'opulence nouvelle abolirait définitivement le mauvais goût et les idées noires. Les babbitts inaugurent "la nouvelle mode" consistant à s'entourer de gadgets et d'artifices pour mieux s'épanouir et l'afficher avec modernité. Se réaliser EN-FIN, dans une société aux traits vraiment nouveaux et qui généreusement s'élargit au plus grand nombre de ses participants. (Sensation immédiate de déjà vu... mais vue sur quoi exactement?)

 Et mademoiselle Parker dans tout ça?

 Sur l'offensive! Prête à bondir à la moindre faute de goût, la mine intraitable d'une dévoreuse passionnée de livres en tout genre et qui a, en plus, ses préférences. Et ça se voit, dans ses articles et critiques sur les actualités théâtrales et littéraires qu'elle publie dans le New Yorker, Vanity Fair ou encore Esquire (encore trois magazines français de haute qualité...); articles soigneusement triés et regroupés dans un recueil publié en français¤. C'est avec des tournures toutes simples et un ton saillant digne des pourfendeurs les plus cyniques de votre entourage que Miss Parker attaque la scène américaine de l'époque. Et là ça casse. Et à raison. Car jamais critique valable ne fut compatissante. Usant de formes usuelles qui rappellent à chacun toutes les remarques qu'on s'est faites au théâtre ou pendant la lecture d'un livre, si tant est que ça nous arrive encore. Comme spectatrice de spectacle et lectrice de bonnes lectures elle aime ou s'ennuie, et le fait clairement savoir par des mots et formules qui feraient rougir et s'émouvoir un régiment d'académiciens dont les bonnes moeurs ne sont plus à prouver. Jamais deux pages ne passent sans qu'un rire, un vrai, ne vous échappe, ou qu'au moins se dessine, au coin de votre bouche, un rictus approbateur.

 Venons-en aux (bonnes) nouvelles, qui dépeignent la réalité de gens médiocres toutes catégories confondues et pour qui, à titre personnel, il m'est difficile d'avoir de la compassion. Les personnages de ces histoires sont les proches de Mademoiselle Parker au quotidien, de près ou de loin. Les épouses désolantes qui s'échinent à imprimer une personnalité à leur living-room en se demandant "de quoi peuvent bien parler les gens mariés quand ils sont seuls ensemble?"; les jeunes filles pathétiques au destin censuré par une misanthropie nourrie d'égoisme et de sournoiseries, attendant hystériquement un coup de fil de l'homme-qui-ne-les-appellera-jamais. A aucun moment ils, ou elles, ne nous font la surprise d'être intelligents. Et les dialogues d'un réalisme vicieux font écho à toute la faiblesse qui anime le monstre humain, si bête, et dont la moue crayonnée au marteau piqueur ne flanche qu'à de rares occasions de lucidité bien vite esquivées.

 Mais voilà. Le malheur s'abat sur cette pauvre Dorothy. En plein milieu de ce beau monde des mots, des effets de mode, des revendications individuelles, et des tables rondes où l'on discute littérature, société, noir/blanc et haute couture tout en torchant du scotch pur, elle oublie de ne pas tomber dans le panneau du "regarde plutôt comment j'dis mais pas comment j'fais". L'idée de dépasser ses fantômes s'estompe discrètement , le long d'une vie de plus en plus désolante mais riche en alcools et en relations amoureuses pathétiques. Et devient l'incarnation de ses propres sujets, de ses propres hantises, de ses propres coups de gueule.

 Critique de premier choix, elle a su instaurer une relation directe avec le lecteur, le tirant par la manche et l'instruisant franchement sur la vie culturelle, sociale, politique et ses travers, à une époque où la satire et la provocation avaient l'elégance du style et la profondeur désabusée des esprits cultivés. Qu'en est-il aujourd'hui?

 

Novembre 2007, Babylon.

 

 

Publié dans Culture

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